EMMANUEL (MANU) BON

(17 novembre 1906 - 25 août 1988)

Rédigé par Michel Bon pour le centième anniversaire de la naissance de Manu Bon, le 17 novembre 2006

 

 

 

 

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Le centième anniversaire de la naissance d'Emmanuel Bon (que tout le monde appelait Manu dans une famille qui raffolait des surnoms) est l'occasion de fournir quelques repères biographiques de sa vie, sans pourtant évoquer l'homme qu'il fût, ce qui serait plus important mais plus difficile.

 

Les racines Bon

 

Emmanuel Bon est le premier né de sa génération, celle du premier tiers du vingtième siècle. Sa famille est originaire du Jura, où l'on retrouve sa trace au début du XV° siècle : il est fait mention d'un Gérard Bon, qui commande la sergenterie de Voiteur. La généalogie continue commence au XVII° siècle, où les Bon sont propriétaires de vignes près de Lons le Saunier et partagent leur temps entre Lons le Saunier, dont ils sont bourgeois, et leur maison familiale de Montain, dont l'existence est attestée dés le XV° siècle.

 

A l'époque de la Révolution, l'ancêtre de Manu s'appelle Claude. Sa femme s'appelle Etiennette de Saint Meur; son frère Gabriel est chanoine, son frère François marie ses enfants l'une à un procureur du Roi, qui sera décapité en 1793, l'autre à la nièce de l'Evêque d'Embrun et la troisième à  son  neveu, le fils de Claude, Gabriel Bon, qui est donc l'arrière-grand-père du grand-père de Manu. Leur fils Xavier qui est l'arrière arrière-grand-père de Manu est pour sa part médecin.

 

Ce Xavier a trois enfants, dont un seul, Alfred, se mariera, avec Joanna Letourneur, la fille d'une lignée d'armateurs de Granville dont est aussi issue Catherine de Sairigné; il est receveur des Finances, métier à l'époque élégant, qui était une charge, un peu comme aujourd'hui les notaires. Alfred, qui meurt en 1897, a deux fils : l'aîné, Gabriel est le grand-père de Manu. Le cadet, Emmanuel, n'aura pas de descendance; lui et sa femme, la fameuse "tante Ada" dont toute la famille a des tableaux, vécurent au "château" du Brigon, à Gières, près de Grenoble..

 

Gabriel, le grand-père de Manu, épouse en 1879 Pauline Leclère, fille du Député Maire de Granville. C'est un polytechnicien (1870), officier d'artillerie. Sa carrière le conduira à Tlemcen, Granville (où naît Charles, son fils aîné,) Grenoble, Paris (où il est Officier d'Ordonnance du Président de la République, Félix Faure), Sathonnay, Rouen, Besançon (où il commande le 5° Régiment d'Artillerie). Nommé Général en 1911, à 58 ans, il commande l'Artillerie du 2° Corps d'Armée à La Fère, dans l'Aisne quand commence la Grande Guerre. Il quitte l'armée en 1915 pour s'établir à Marseille où il meurt en 1924. Sa femme "Grand-mère Bon", viendra s'installer à Paris avenue Bosquet où elle vivra jusqu'en 1937. Ils auront neuf enfants :

-Charles (1879-1944) le père de Manu,

-Joanna, sa jumelle (1879-1885)

-Emmanuel (1881-1902)

-Jacques (1882-1984) qui fit Saint Cyr et dont descendent nos cousins Bon, Boutan et Béguin,

-Xavier (1885-1912)

-Marie (1888-1967), qui épousa un officier d'artillerie, André Piet (1877-1944), dont descendent nos cousins Piet, Grandcolas et Gresland,

-Yvonne (1892-1976), qui épousa également un officier d'artillerie, Edouard Favre (1876-1949), dont descendent nos cousins Boucher,

-Marguerite, sa jumelle (1892-1985) qui épousa elle aussi un officier d'artillerie qui sera tué pendant la Grande Guerre, Paul Laurent (1883-1916), dont descendent nos cousins Cuny,

-Bernard (1894-1915), qui fit Saint Cyr et sera tué pendant la Grande Guerre.

 

Charles, le père de Manu, naît à Granville en 1879, puis suit ses parents à Alger, Grenoble, Paris, où il passe son bac et en est félicité par une lettre du Président de la République Félix Faure pour qui travaille son père. Il entre à Saint-Cyr en 1899, dans la promotion d'In Salah, et en sort officier de cavalerie en 1901. Après une formation complémentaire à Saumur, le "temple" de la cavalerie, il est nommé en 1904 à Beaune, comme lieutenant au 16° Régiment de Chasseurs. C'est alors qu'il épouse Marie-Thérèse Botu de Verchère

 

Les racines Botu de Verchère

 

Marie-Thérèse Botu de Verchère (1885-1954) est issue d'une très ancienne famille aristocratique du Dauphiné, venue s'établir en Ardèche au XVII° siècle. Son gendre, Jean Paturle, en a établi une généalogie qui trouve ses premières traces au XII° siècle. Ses ancêtres participent aux deux premières croisades, à la bataille de Crécy, à celle d'Azincourt

 

La généalogie suivie commence au milieu du XIV° siècle. Châtelains de Crémieu dans l'Isère, ils sont en général officiers (un autre de ses ancêtres participera à la bataille de Pavie, puis à celle de Marignan), avant de devenir magistrats au XVIII° siècle, date à laquelle ils unissent à leur nom de Botu celui de Verchère, l’une de leurs propriétés voisine de Crémieu.

 

Au moment de la Révolution, Michel Botu de Verchère, l'arrière grand père de Marie-Thérèse est Inspecteur des Finances du Roi pour le Dauphiné. Il émigre à Vienne, puis revient comme Procureur Impérial, puis Procureur du Roi à Tournon. Son fils Emile, le grand-père de Marie-Thérèse, est avocat, puis juge à Privas. Il a une fille, Marie qui épouse James de La Rochette, dont sont issus nos seuls cousins du coté Botu de Verchère, les de La Rochette et les de Fenoyl, et un fils Joseph (1848-1899), le grand-père de Manu.

 

Celui-ci, qui semble avoir été rentier (il possède des vignes d'appellation Tain l'Hermitage). Il  habite à Saint Jean de Muzols, près de Tain, épouse Marie Agathe Axeline Garnier de Pélissière. Ils n'ont qu'un seul enfant, Marie-Thérèse, avec qui s'éteindra la famille Botu de Verchère.

 

Marie-Thérèse Botu de Verchère naît à Saint Jean de Muzols en 1885 ; elle a 14 ans quand meurt son père et 18 ans quand meurt sa mère. Elle est alors prise en charge par son oncle  Joseph de Pélissière, qui la marie en 1904 à Charles Bon. Elle a 19 ans. L'origine de ce mariage tient sans doute à l'amitié qui unissait le grand-père de Marie-Thérèse avec M. Caffarel, lui-même Procureur du Roi, qui avait une propriété à Gières, près de Grenoble, où les Botu de Verchère furent souvent reçus, et où le père de Charles, qui fut deux fois en garnison à Grenoble aurait pu les connaître. Ces liens durèrent, puisque les Caffarel, sans descendance, vendirent leur propriété de Gières à Emmanuel Bon, l'oncle de Charles, qui finit par en hériter.

 

Le mariage civil a  lieu le 16 novembre 1904 à Saint Jean de Muzols et le mariage religieux le 17 novembre à Gières, chez les Caffarel. Les jeunes époux s'installent à Beaune, au 3 rue de la Gare (aujourd'hui avenue du 8 septembre) où leur premier enfant, Emmanuel, dit Manu, naîtra le 17 novembre 1906, le jour de leur second anniversaire de mariage. Son prénom est celui du seul frère de son grand-père, mais peut-être surtout celui du frère le plus proche de son père Charles, né deux ans après lui et mort à 21 ans; ses autres prénoms, outre Marie, comme il se doit dans une famille catholique, sont ceux de ses deux grands-pères.

 

La naissance

 

L’an mil neuf cent six, le dix neuf novembre à onze heures du matin, heure légale, par devant Nous, Jules Girodit, Officier d’Académie, premier adjoint et Officier d’Etat-Civil de la Ville de Beaune délégué, a comparu Charles-Alfred-Gabriel-Marie Bon, Lieutenant au seizième régiment de Chasseurs à cheval en garnison à Beaune, y demeurant avenue de la gare numéro trois, âgé de vingt-sept ans, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né à Beaune le dix-sept novembre présent mois à trois heures du matin, heure légale, en la maison paternelle, du mariage contracté à Saint  Jean de Muzols (Ardêche) entre le déclarant et Marie-Thérèse-Ernestine-Emilie Botu de Verchère, sans profession demeurant avec lui âgée de vingt ans, auquel enfant il a donné les prénoms de Emmanuel-Marie-Gabriel-Joseph. Lesquelles déclarations et présentation Nous ont été faites en présence de Joseph-Marie-Justin de Pélissière, rentier, demeurant à Grenoble (Isère) âgé de cinquante ans, grand oncle de l’enfant, et de Maxime d’André, Capitaine Commandant au Seizième régiment de chasseurs à cheval demeurant à Beaune âgé de quarante deux ans, lesquels ont signé avec nous le présent acte après relecture.

Ce lieu de naissance permettra à Manu de souligner qu’il était né « sous les meilleurs Hospices »….

 

L’enfance

 

Il ne resta pourtant que quelques semaines en Bourgogne car son père est muté, dés la fin de 1906 à Valence, dans un autre régiment de cavalerie qui le rapproche beaucoup des vignes de  Saint Jean de Muzols qu’il doit gérer pour le compte de sa femme. C’est à Valence qu’en 1912 naîtra sa première sœur, Bernadette. Pendant près de cinq ans, il fut non seulement le fils unique de ses parents mais aussi le seul petit enfant de sa famille puisque ses premiers cousins, Christiane Bon (fille aînée de Jacques) et Georges (fils aîné de Marie Piet) ne naissent qu’en 1911. En 1910, son père est muté à Chalons sur Marne, mais il n’est pas clair que sa famille suive puisque Bernadette naît à Valence. Au tout début de la guerre de 1914 sa seconde sœur, Geneviève, naît à Grenoble, où peut-être la famille s’est abritée chez l’oncle Emmanuel Bon.

 

Manu part pendant la guerre au collège des jésuites de Mongré, près de Lyon, où il est pensionnaire pendant que son père s’illustre sur des champs de bataille où hélas la cavalerie ne sert plus à grand' chose… Charles Bon est plusieurs fois blessé mais survit à une guerre qui tuera son jeune frère Bernard et son beau-frère Paul Laurent; il terminera la guerre à l’Etat-major de la Troisième Armée du Général Humbert et participera à ce titre à la conférence interalliée de Doullens qui nommera le général Foch Commandant suprême des troupes alliées.

 

Un premier frère, Joseph, naît à Marseille, sans doute chez son grand-père Bon en  août 1918. Trois autres fils suivront : Xavier, qui naît en juillet 1920 à Chambéry, ou son père est brièvement en garnison, Gabriel qui naît en novembre 1921 et meurt en juin 1923, un mois juste avant la naissance du petit dernier, Pierre.

 

 

La jeunesse

 

Manu poursuit ses études, toujours à Mongré, et passe son bac de philosophie en 1923 il n’a pas encore 17 ans, puis son bac de Mathématiques Elémentaires en 1924. Il décide alors de préparer le concours d’entrée à Saint Cyr, mais échoue et ne se représente pas une seconde fois : son père vient de quitter l’armée dont les effectifs sont pléthoriques au lendemain de la guerre, et où sans doute sa famille juge les perspectives un peu encombrées. En 1921 ses parents se sont installés au 59 rue Jean Jaurès à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon où son père est Chef d’Etat Major de la Sixième division de Cavalerie, puis Lieutenant Colonel au 2° Dragons.

Il fait son service militaire à Lyon de novembre 1926 à novembre 1927 au 18° régiment de Génie. Il le termine sergent avec une spécialisation de radio. Il commence alors à travailler avec son père qui est devenu représentant d’une affaire de traitement des eaux, Phillips et Pain. Il a vingt et un ans.

 

Le mariage

 

Depuis que la maison du Vernois a été vendue par son Grand-père, Manu passe une partie de ses vacances chez sa tante Yvonne (dite « Néné ») Celle-ci a en effet épousé au lendemain de la guerre Edouard Favre, un officier d’artillerie qui est veuf avec cinq enfants et possède une maison à Menthon Saint Bernard, au bord du lac d’Annecy. Manu (1906) est le seul des neveux de Néné a avoir l’âge des aînés de ses beaux-enfants, François (1903), Jean (1904), Thérèse (dite Zézou) (1905) et Marguerite (dite Goty) (1907). La mère de ceux-ci, morte en 1910 s'appelait Marie Aussedat, c’est la sœur de Louis Aussedat. Naturellement pendant les vacances, Manu rencontre les nombreux cousins Aussedat des Favre. Parmi eux il remarque Mathilde, l’une des filles de Louis Aussedat, et qui est donc une cousine germaine des beaux-enfants de Néné Favre. Elle est née à Annecy le 15 juillet 1910 et est la troisième d’une famille de onze enfants. Ils se marient le 26 décembre 1930 en l’église Saint Maurice d’Annecy ; il a vingt-quatre ans et elle en a vingt.

 

Mathilde Aussedat et les Aussedat

La famille Aussedat s’est établie à Annecy à la fin du XVIIIe siècle pour y installer un moulin à papier. La fabrication du papier était le métier des Aussedat depuis très longtemps, d’abord en Auvergne, d’où ils sont originaires, puis à Annonay, où ils travaillent avec les Montgolfier et enfin en Savoie, à l’époque un pays étranger. Les ancêtres de Mathilde, Augustin, Alexis puis Jean-Marie I et Jean-Marie II font grandir leur usine de Cran Gévrier, installée aux portes d’Annecy sur le Thiou qui est le déversoir du lac et ils sont à la fin du XIXe siècle des notables de leur ville. Le père de Mathilde, Louis, n’est pas l’aîné et n’entre donc pas dans la papeterie familiale. Après des études d’ingénieur à l’Ecole Centrale à Paris, il revient à Annecy pour y créer, avec des capitaux de sa famille, la première société de production et de distribution d’électricité de la ville, les « Forces du Fier », à partir du nom de la rivière sur laquelle il établit un barrage.

 

Il se marie en 1907 avec Marie-Louise Balleydier, la fille d’un notable local, à qui il offre en guise de cadeau de fiançailles le château d’Aléry, situé au dessus d’Annecy, qu’il restaure. C'est très probablement là que Manu fit la connaissance de Mathilde. Celle-ci, surnommée Mythil, naît en 1910, après Jean en 1908 et Marguerite (Margot) en 1909. L'une des sœurs de Louis Aussedat est religieuse du Sacré Cœur : c'est donc là que Mythil fera ses études, comme pensionnaire à Avigliana, près de Turin, où les sœurs du Sacré Cœur se sont repliées après l’expulsion de France des congrégations religieuses. Elle passe son baccalauréat en 1928, ce qui est très rare à l’époque (moins de mille femmes par an), puis termine des études d’infirmières avant de se marier.

 

Villeurbanne (1930-1937)

 

Les jeunes mariés s'installent à Villeurbanne, au 17 rue Jean Jaurès, à moins de cent mètres du 29 de la même rue où habitent Charles et Marie-Thérèse Bon. Manu travaille avec son père pour Phillips et Pain, une société parisienne qui fait du traitement des eaux et de la protection contre l'incendie, qu'ils représentent pour la région. En 1930, il gagne 17 800 francs de l'époque, soit environ 35 000€ de 2006. Mythil ne travaille pas, ce qui est la norme à l'époque (aucune de ses sœurs et belles-sœurs ne travaillera, sinon Rose-Anne après la mort de son mari), et ils ont une domestique à plein temps qui loge chez eux.

En 1931, toujours avec son père, il devient représentant des Etablissements Céramiques Boiron, une société installée à Briennon dans la Loire, qui produit des matériaux de construction. Alors que sa sœur Margot enchaîne les naissances (Paule en 1930, Marthe en 1931, France en 1932, Odile en 1934), Mythil peine à suivre… Finalement, après trois ans et demi de mariage qui manifestement ont semblé longs à ses parents, Régis naît le 9 mai 1934 à Annecy, chez sa grand-mère Aussedat.

 

L'arrivée à Grenoble

 

Quatre ans plus tard, le 25 mai 1938, peut-être à cause de la crise économique qui a du frapper les débouchés des produits qu'il vend, peut-être aussi pour rapprocher sa femme de sa sœur chérie Margot, Manu entre dans une affaire de succursalisme alimentaire, Genty, qui est dirigée par le mari de Margot, Albert Giraud Mounier. Installée à Grenoble, cette affaire gère un entrepôt, situé avenue du Maréchal Randon, où Manu aura son bureau, et une quinzaine de points de vente, dans l'agglomération de Grenoble, mais aussi à Chambéry et Romans. Ce sont des magasins d'une centaine de m2 qui vendent des produits d'épicerie sèche, du café et des liquides. A l'entrepôt, on met le vin en bouteilles et on torréfie le café. Manu y est une sorte de directeur commercial, et supervise les magasins.

 

Manu, Mythil et Régis s'installent à Grenoble  au 4° étage (sans ascenseur) du 11 de la rue Docteur Mazet, au coin de l'avenue Felix Viallet, dans un bel appartement de six pièces avec vue sur le Moucherotte et la chaîne de Belledonne. C'est là que, le 22 novembre 1938, quelques mois après leur arrivée, naît Marie-Françoise. Malheureusement, moins de dix mois plus tard, commence la seconde guerre mondiale.

 

La guerre

 

Le 2 septembre 1939 Manu est rappelé comme sergent-chef au 28° régiment du Génie, 95° compagnie de radio, à la 5° DINA. Il est affecté en Lorraine, et fera, pendant la "drôle de guerre" une brève incursion en territoire allemand. Après l'attaque du 10 mai, il remonte vers le Nord et la mer, pendant que sa famille quitte Lyon pour se replier à Saint Jean de Muzols.

 

Il est cité à l'ordre du Régiment : Gradé courageux d'un inlassable dévouement joint à une très haute conception du devoir. A assuré toutes les missions qui lui ont été confiées sous de violents bombardements, en particulier à Jeanlain le 19 Mai 1940 et le 28 mai entre Phalemepin et Vieux Berquin. Cette citation vaut attribution de la Crois de Guerre avec étoile de bronze. (JO du 26 mai 1941)

 

Le 29 mai 1940, il est fait prisonnier à Steenwerk (Nord). De là il partira pour une longue pérégrination à travers l'Allemagne puis l'Autriche où à la mi juillet il est affecté au stalag XVIII A.  Avant de quitter la France il est parvenu à envoyer à sa femme un court mot, qu'elle recevra le 22 juillet : "Je suis prisonnier depuis avant-hier soir mais je suis très bien traité et tu n'as à t'inquiéter en aucune façon. Je t'aime et je t'embrasse ainsi que tous". Ce n'est que bien plus tard qu'elle aura l'adresse de son camp et parviendra à lui donner des nouvelles, sa première lettre ne lui parvenant  que le 15 septembre, six mois après sa dernière permission. Après quelques semaines au camp, il est envoyé à Mayechofen, à une vingtaine de kilomètres de Klagenfurt (Karnster), dans l'une des fermes du château de St Salvator qui appartient à la famille von Knapistch. Il y restera jusqu'en mai 1941, avec au milieu un épisode de cinq mois à construire une route de montagne à proximité.

 

Il rentre au camp à sa demande, parce qu'il pense qu'il y aura plus de chances de se faire rapatrier; en effet la rumeur court d'un accord entre Vichy et l'Allemagne sur ce sujet. Il multiplie les tentatives, échoue à se faire passer pour breton quand on rapatrie les bretons, pour père de plus de quatre enfants quand on libère les soutiens de famille, et même pour ancien combattant quand c'est le tour ce ceux-ci. L'officier allemand qui examine sa demande, constatant qu'il n'avait que douze ans à la fin de la guerre lui dit :"Fallait-il que vous nous haïssiez"! Finalement il réussit, après avoir habilement maquillé son livret militaire où il transforme sa qualité de radio en celle de radiologue à se faire rapatrier comme médecin. Sur la route du retour, il croise à la gare de Dijon son cousin Jacques Vidil, qui n'est pas marié mais médecin et qui est, lui, rapatrié comme soutien de famille !

 

Il arrive à Lyon le 18 mars 1942 où il est démobilisé et retrouve sa famille, qu'il n'a pas vue depuis deux ans, et son travail chez Genty. Sa sympathie va à la Résistance mais il ne s'y engagera que marginalement de peur de trop exposer sa famille. Il aidera par exemple le frère de Michel Pignal, à cacher des armes dans les magasins Genty ! Il faut dire que quelques mois après le retour, Mythil est à nouveau enceinte, de Michel, qui naîtra le 5 juillet 1943. Quelques jours plus tard les troupes américaines débarquent en Sicile ce qui aura pour conséquence le passage des Italiens dans le camp allié. Depuis novembre 1942, c'étaient eux qui occupaient Grenoble et ils laissent dès lors la place aux Allemands, qui seront nettement moins accommodants.

 

C'est pendant cette période sombre que,le 11 mars 1944 meurt le père de Manu, qui avait lui aussi fini par  quitter Villeurbanne pour venir habiter Grenoble.  La fin d'août 1944 trouve la famille au Brigon, à Gières, dont Charles Bon a hérité après la mort de la tante Ada, en 1943. C'est là que se déroule le seul combat préalable à la libération de Grenoble, avec quelques obus dans le parc. Xavier, le frère de Manu, est parvenu à s'échapper du maquis du Vercors après l'attaque allemande, et rejoint alors les troupes françaises libres.

 

 

L'après guerre

 

Après la guerre la vie reprend à Grenoble, éclairée par la nouvelle grossesse de Mythil, qui mettra au monde Marie-Ange le 9 avril 1946. Hélas, Régis tombe malade. Son affection, mal diagnostiquée par un médecin cousin de la famille, se révèlera être le rhumatisme articulaire aigu. Si cette maladie se soigne aujourd'hui facilement à la cortisone, ce n'est pas le cas en 1947, et Régis meurt le 24 mars; il n'a pas tout à fait treize ans. Le même jour, le frère de Manu, Joseph, devenu chez les Dominicains le frère Bruno, est ordonné prêtre à Saint Maximin (Var). Il célèbrera sa première messe à Grenoble pour les obsèques de son neveu Régis.  Ce choc terrible ébranle la santé de Mythil qui pendant quinze ans sera sujette à des dépressions chroniques, que la médecine de l'époque parvient mal à endiguer et qui finirent par l'emporter.

 

Les années cinquante

C'est l'époque où la vie professionnelle de Manu devient plus intéressante. En effet, au milieu des années cinquante, un épicier breton, Edouard Leclerc, qui s'est taillé une réputation à Landernau en vendant très bon marché et en libre service dans un hangar, est invité à ouvrir un point de vente à Grenoble dans un local qui lui est fourni par le syndicat de la métallurgie, soucieux de lutter "contre la vie chère". Coup de tonnerre pour Genty, qui est presque deux fois plus cher ! Mais le pire est à venir. Un succursaliste toulousain, M. Berthier, qui voit en Leclerc une menace qu'il faut tuer dans l'œuf, décide de l'affronter à Grenoble en y ouvrant une demi-douzaine de points de vente à l'enseigne Saveco, aux mêmes prix que Leclerc, mais bien placés et bien présentés. Cette fois les ventes s'effondrent, M. Genty vend ses parts à Albert Giraud Mounier et celui-ci, avec l'aide de son beau-frère Manu, essaie de reprendre pied. Ils y parviendront assez pour intéresser un autre épicier, de Saint Martin d'Uriage, Paul Cathiard, à s'associer à Genty, qui devient vers 1960 Genty-Cathiard. L'entrepôt et les bureaux sont  transférés à Sassenage dans les années 50. Du coup la famille prend l'habitude de passer le gros de ses vacances à Lans en Vercors, ce qui permet à Manu de la rejoindre tous les soirs.

 

Pendant l'été 1954, le 17 juillet, Marie-Thérèse Botu de Verchère meurt à Grenoble, à 68 ans. La propriété de Gières est vendue, et celle de Saint Jean de Muzols est donnée au curé et sert aujourd'hui de foyer paroissial. Quelques années plus tard, Joseph Bon, le dominicain, meurt à Toulouse (le 3 novembre 1959, à 41 ans), ce qui affecte beaucoup Manu qui avait une relation forte avec son frère qui l'avait beaucoup aidé dans les épreuves de la mort de son fils et de la maladie de sa femme. Un des dominicains qui avait été ordonné la même année que lui écrira de son frère : "Nomen significat rem" (le nom désigne la chose).

 

En 1957,Marie-Françoise part poursuivre ses études à Paris, pour devenir "jardinière d'enfant"; on dirait aujourd'hui moins joliment éducatrice de jeunes enfants. Elle a 18 ans, est ravissante et le chic de Paris l'auréole davantage encore. Dans la foule nombreuse des prétendants se dégage bientôt un jeune ingénieur ardéchois qui revient d'un long service militaire (c'est l'époque de la guerre d'Algérie) comme officier de marine. Il est le fils d'une sœur de Michel Pignal, lui aussi officier de marine, qui a épousé Marthe, la jeune sœur de Mythil et qui est le parrain de Michel. Toute la famille applaudit donc à leurs fiançailles qui se déroulent pendant l'été 1959 à Aléry. Marie Françoise épouse Bernard Plantevin le 21 novembre 1959, la veille du jour de sa majorité fixée alors à vingt et un ans, dans le souvenir l'oncle Jo qui est mort deux semaines avant. Après la messe à Saint André de Grenoble, la famille se retrouve pour déjeuner à Echirolles dans la propriété des Giraud Mounier.

 

La mort de Mythil

 

La maladie de Mythil, hélas, perdure, en dépit  du bonheur du mariage de sa fille puis de la naissance, le 26 février 1961 du premier petit enfant, Agnès Plantevin, qui naît à Grenoble et passe ses premiers jours après la clinique dans l'appartement de la rue Docteur Mazet.

 

En septembre 1961, Michel part préparer le concours des écoles de commerce au Lycée du Parc à Lyon. C'est le dimanche de son premier retour à Grenoble que Mythil meurt à Grenoble, le 24 septembre 1961. Le soir même, alors que la famille dîne tristement, on sonne à la porte : c'est une petite toulousaine qui vient faire ses études à Grenoble, n'a pas trouvé de chambre et s'est souvenu que le Père Bon lui avait dit d'aller chez son frère si un jour elle avait des problèmes. Aucun autre protégé du Père Bon ne s'était jamais présenté avant elle : pourquoi ce soir là  précisément ?

 

Manu reste seul à Grenoble, avec Marie-Ange qui a 15 ans, et Michel qui revient presque tous les week-end. Marie-Françoise est installée à Notre Dame de Briançon, un village industriel où travaille Bernard, entre Albertville et Moutiers. Elle s'occupe de son père de son mieux, tout en construisant sa famille : Hervé naît le 7 octobre 1963 et Olivier le 29 janvier 1965.

Michel est reçu à l'ESSEC et part pour Paris à la rentrée de 1963, où il s'installe chez la tante Gry, la jeune sœur de Charles Bon. Marie-Ange grandit, elle aussi ravissante, mais l'esprit de 1968 commence à souffler et elle est plus attirée par l'idée de profiter de sa jeunesse que par celle de se marier à vingt ans comme sa grand-mère, sa mère et sa soeur aînée… Elle aussi partira pour Paris, à la rentrée 1968, pour y faire le CELSA.

 

Après la mort de sa femme, Manu trouvera aussi un refuge dans son travail. Il s'entend bien avec Paul Cathiard, et surtout la concurrence et la modernisation du commerce rendent ce travail plus intéressant. Il ouvre un premier supermarché en libre service à Bourgoin, entre Grenoble et Lyon, où il aura, le premier en France, l'idée de vendre l'essence moins chère pour attirer les automobilistes. Puis, en 1969, Genty Cathiard riposte à l'ouverture de Carrefour à Echirolles en ouvrant un premier hypermarché à Saint Martin d'Hères, entre Gières et Grenoble, sous l'enseigne Record. Pour la campagne de lancement, Manu imagine comme slogan :"Tous les carrefours mènent à Record". Et Carrefour lui répond sèchement, en publiant une liste de prix : "Record battu!" Bref, on s'amuse plus qu'avant!

 

En 1965, il quitte la rue Docteur Mazet, et ses souvenirs, pour s'installer dans un immeuble moderne, face au parc Paul Mistral, au 18 boulevard Jean Pain, dans un appartement bruyant mais jouissant d'une vue magnifique sur le Parc et sur la chaîne de Belledonne.

 

La retraite

A la fin de 1971, il atteint 65 ans et quitte Genty-Cathiard, après avoir aidé les deux enfants de Paul qui est mort deux ans avant, à en prendre les rênes. Ceux-ci, Daniel et Sylviane, diront plus tard à Michel, qui les retrouvera lorsqu'il travaillera à Carrefour et leur rachètera le magasin de Meylan, la reconnaissance et l'affection qu'ils portaient à Manu.

 

Pendant quinze ans, il va vivre seul, sans occupation véritablement marquante. Quelques coups de main à sa paroisse Saint Joseph pour le bulletin paroissial, des cueillettes de champignons, beaucoup de bridge, mais au total ses enfants ne savent pas grand-chose de sa vie, sans pour autant s'en inquiéter tant celle-ci paraît claire. Les vacances  en sont le temps fort. Installé pour les trois mois d'été à Menthon Saint Bernard dans la maison qu'il loue depuis 1958, à l'angle de la Route des Bains et de la Route du Roc de Chère, il y reçoit ses enfants et petits-enfants. Il y est à la fois hôtelier, restaurateur et gentil organisateur. Il consacre ses matinées à ses tâches ancillaires et à ses célèbres apéritifs quotidiens qui attirent toute la famille après le bain du matin, et ses après midi et soirées au bridge, avec ses cousins Rocher et Favre. Il vient très rarement à Paris où sont installés Michel et Marie-Ange, et voit davantage les Plantevin chez qui il déjeune tous les mercredi après leur installation à Corenc, dans la banlieue de Grenoble, à la fin des années soixante-dix.

 

Pendant toute cette période, sa descendance s'élargit. Marie-Françoise est enceinte de Tanguy (qui naîtra le 4 septembre 1971) lorsque Michel épouse le 18 juin 1971 à Paris, à Saint Louis des Invalides, Catherine Brunet de Sairigné, la fille d'un héros de la Légion Etrangère et Compagnon de la Libération. Un premier Bon, dont le prénom de Charles-Emmanuel marque bien la filiation, naît le 10 avril 1972. Il sera suivi de trois sœurs, Eléonore le 26 janvier 1974, Domitille le 18 janvier 1978 et Adélaïde le 1er mars 1981.

 

Marie-Ange s'est aussi mariée, deux ans après son frère, le 2 juin 1973, avec l'un des meilleurs amis de Michel, Marc Tessier, lui aussi inspecteur des finances. Mais ce mariage ne prospérera pas, et ils se quittent en 1975. Par la suite Marie-Ange mènera une longue vie de couple, sans toutefois se marier, avec André Harris, qui est à la fois producteur de films ("Le Chagrin et la Pitié", "Français si vous saviez") et auteur de livre avec son ami Alain de Sédouy. Le neuvième et dernier petit enfant de Manu, Virgile Bon-Harris, naîtra de cette union le 1er mai 1982. Manu a alors 75 ans.

 

Quelques semaines avant la naissance de Virgile, Manu vit intensément le drame des Plantevin qui perdent brutalement leur fils Olivier, le 26 mars. Le visage bouleversé de Manu, au bord de la tombe qui abrite déjà sa femme et son fils et s'apprête à accueillir son petit-fils est resté dans les mémoires. Il ira peu après chercher un peu de paix dans le couvent des Dominicains de Toulouse ou avait vécu son frère.

 

La mort

Rendu sceptique sur la médecine par les maladies mal soignées de sa famille et bénéficiant, malgré les épreuves de la captivité, d'une très bonne santé, Manu ne voit jamais de médecins, sinon pour jouer au bridge où il les voit sans surprise faire le mort. Il a pourtant une première alerte dans les années 1970, où il est hospitalisé brièvement à Annecy pour des calculs de la  vésicule, mais quitte subrepticement l'hôpital lorsqu'on prétend vouloir faire un check up complet. Marie-Françoise, qui l’accompagne à l’Hôpital s’entend dire à l’accueil : « on va créer votre père », car jamais depuis la création de la Sécurité Sociale il n’a rempli de feuille de maladie !

 

L'été 1988 s'annonce prometteur à Menthon, car Agnès Plantevin va épouser un de ses camarades de l'Ecole d'Agronomie de Montpellier, Claude Bouchez et Manu pourra faire au mariage l'un de ces "speeches" qui ont fait sa réputation. Mais, vers le 20 juillet, il est hospitalisé pour un œdème pulmonaire, à l'hôpital d'Annecy. Heureuse coïncidence, l'interne qui s'occupe de son service est Charles Bon, le fils unique de son plus jeune frère Pierre (dit Péo). Il est en voie de guérison quand il est victime d'un arrêt cardiaque. Ramené à la vie, il est placé en réanimation, où il vivra trois longues semaines d'agonie, pouvant peu communiquer à cause des tubes respiratoires, mais rayonnant d'amour. Il meurt le 25 août 1988, vers six heures de l'après midi, pendant l'heure de visite des familles, avec Michel, Marie-Ange et Catherine à son chevet.

 

Marie-Françoise, elle, a du se résoudre à partir la veille pour l'Ardèche où, le 27 août, se marie Agnès. La messe d'enterrement a lieu le 29 août dans l'église de Menthon, où s'est mariée sa fille Marie-Ange quinze ans plus tôt et où se mariera sa petite fille Domitille quinze ans plus tard. Le soir, il rejoint ceux qu'il a tant aimés dans la tombe de Gières.

 

Michel Bon,  17 novembre 2006